L’autobus-trône
Les choses commençaient à être un peu trop compliquées. Je ferais mieux d’appeler ma mère plus tard quand les choses seraient redevenues un peu plus simples. Je ne voulais pas forcer ma chance pendant que j’étais en veine : j’ai décidé de rentrer chez moi prendre une douche avant d’aller à mon rendez-vous.
Peut-être que j’avais encore une chemise qui faisait à peu près propre dans mon placard. Je voulais présenter le mieux possible pour mon client. Même que j’allais me laver les dents.
J’ai descendu Kearny Street jusqu’à Sacramento Street ; là, j’ai attendu l’autobus qui remonte Sacramento pour rentrer chez moi à Nob Hill. Je n’ai pas eu à attendre longtemps. L’autobus n’était qu’à quelques arrêts de là et remontait Sacramento en direction de ma station.
Vous voyez : la chance était avec moi.
A mon avis, la chance, c’est comme la marée. Quand ça monte, ça monte.
J’étais décidé à profiter au maximum du luxe que constituait ce parcours en autobus. Cela faisait des semaines que je cavalais à pinces dans San Francisco. Je n’avais jamais été aussi pauvre ; mais la dèche, c’était fini.
Je suis monté dans l’autobus, j’ai payé mes cinq cents et je me suis assis, comme un roi tout content de son trône tout neuf. J’ai poussé un soupir de plaisir quand le bus a commencé de grimper Sacramento. J’ai dû soupirer un peu trop fort parce qu’une jeune femme qui était assise les jambes croisées sur le siège en face du mien a décroisé les jambes et a tourné la tête de l’autre côté d’un air gêné.
Je parie qu’elle, elle en avait tout le temps eu un de siège d’autobus. Si ça se trouve, même, elle y était née dans l’autobus : on lui avait donné un abonnement à vie et, à sa mort, son cercueil, c’est dans un autobus qu’il irait au cimetière. Evidemment, il serait peint en noir et les sièges seraient couverts de fleurs : on dirait des passagers dingues.
Il y a des gens qui ne se rendent pas compte de la veine qu’ils ont.